sábado, 20 de novembro de 2010

Le rire insolite

Vendredi soir. J’attendais ma colocataire pour aller diner avec des amis. Elle trainait donc je suis montée dans la voiture où le chauffeur m’attendait. Comme d’habitude, on écoute la radio et on parle en swahili ensemble: j’essaie de deviner les mots que je ne connais pas et il me guide à découvrir leur sens.  Il a beaucoup de patience avec moi, prends soin de m’expliquer les nuances et de faire des compliments par rapport à mon progrès. Comme d’habitude, on rit.
Je voulais écouter de la musique congolaise et on cherche une chanson qui me plaise dans les différentes chaînes. Soudain il y a une qui attire mon attention, non pas pour le rythme mais pour la langue – « je ne comprends rien » je lui dis –« Ah, c’est parce que du Kinyarwanda» et il m’explique les paroles en détail. « Comment tu comprends si bien, toi ?» je demande. Même si on est dans une zone frontalière c’est assez rare qu’un Congolais parle bien la langue du pays voisin. « J’ai vécu là-bas de 1988 à 1994. J’ai du quitter à cause de la guerre.. Ah Vera, tu sais – ces yeux ont beaucoup vu. Pour te dire comme j’étais traumatisé après ma fuite du Rwanda, je n’ai pas pu manger de la viande pendant 3 ans. Voir égorger des chèvres et des vaches me rendait malade.. Je revoyais toutes les scènes que j’ai vécu là—bas. » Je demeure silencieuse.
« Tu fermes la maison comme si tu allais revenir toute à l’heure et tu ne reviens jamais, tu laisses tout. Tu entends des hommes entrer dans la maison de tes voisins, que tu connais bien. Les parents s’étaient cachés rapidement à l’arrière de la maison mais leur petit enfant de 3 ans n’a pas eu le temps et est resté dans le salon. Les envahisseurs lui demandent où se trouve Papa et Maman, et le petit garçon, poliment, leur montre du doigt l’endroit de la cachette. »  Les hommes les trouvent facilement et avec haine découpent le couple en morceaux à la machette. Pour remercier l’enfant, bourreau de ses parents, ils le laissent en vie. Sûrement quelqu’un d’autre viendra achever leur travail.
« Pendant ce temps, j’ai tout vu par le trou de la serrure. Je ne comprenais rien, j’avais peur – j’étais pétrifié. Mon autre voisin, Zaïrois comme moi, me dit d’aller vite prendre tous mes papiers d’identité, tout ce qui pouvait montrer qu’on n’était pas Rwandais. Ils nous laissent tranquilles. L’enfant se colle à nous pour ne plus nous lâcher. Il nous aimait bien - mon ami était même son enseignant. Tu sais, il y a beaucoup de congolais enseignants au Rwanda, même maintenant »  Et il rit.
« Attends, je ne comprends pas. Pourquoi tu parles au passé ? Qu’est-ce qui s’est passé avec ce petit garçon ? Il ne s’est pas sauvé ? » je l’interromps nerveusement.
« Attends Vera. Disons que ce petit garçon a été la perte de ses parents et notre saveur. Dieu le remercie.» Et il rit.  Ma colocataire arrive à ce moment – on ne lui prête pas d’attention. Elle s’installe à l’arrière de la voiture, il allume le moteur et continue l’histoire. Je suis sûre qu’elle se demandait comment on en était arrivé là. Elle ne pouvait pas s’imaginer que les 15 minutes qu’elle nous avait fait attendre avaient débouché dans un tel récit.
Il me parle avec patience, comme d’habitude. Il me raconte comme ils voulaient partir de suite, mais à Kigali les balles coupaient l’air sans arrêt. Pour faire une distance de 500 mètres il leur a fallu 5 heures, cachés derrière ce qu’ils trouvaient dans leur chemin, le sang gelé.
« Pendant deux semaines, on marche, on marche, on marche sans arrêt. On était 8 plus l’enfant. Par moments on tombait sur des barrières et ils étaient là – ils tuaient les autres et nous obligeaient à regarder. Nous obligeaient à regarder Vera ! » La voiture fait un saut. « J’ai vu comme ils ont ligoté une maman enceinte, l’attachée à un arbre, et on enlevé tous ses vêtements, tout tout, même les vêtements intimes.  J’ai vu comment un d’entre eux lui a fait une césarienne à sang froid avec un couteau, il l’a ouverte et a tout enlevé. Ils ont pris le bébé engloutit dans le placenta et ils l’ont pilé comme si c’était du manioc, pilé comme si c’était du manioc ! »   Et il rit.  
Je sens un vertige, je retourne mon regard et je le fixe dans la route noire. Avec les trous, la voiture nous secoue beaucoup et je sens d’avantage la pression dans mon estomac.  
« Tu me suis » ? Je lui fait signe que oui. « Hutus ou Tutsis - ils ont tous fait le même, ils tuaient pareil. Maintenant comme les Tutsis sont au pouvoir c’est les Hutus qui sont les génocidaires. Mais moi j’avais plus peur des Tutsis. »
« Parce que les congolais ressemblent aux Hutus, n’est-ce pas ? » je confirme.
« Oui, c’est ça. Les Tutsis sont trop différents mais les congolais et les Hutus sont faciles à mélanger. »  Je pense à toutes ces théories qui disent que Tutsis et Hutus ne sont pas différents physiquement, que tout cela est une invention belge. Je pense que même moi j’arrive à les distinguer – surtout les Tutsis des Hutus et des Congolais…

 Il continue son histoire – ils étaient presque à Cyangugu, juste à la frontière avec le Zaïre/Congo – quand ils sont bloqués par une barrière, Hutu cette fois. « Il y avait la pleine lune et tu pouvais voir autour de toi comme si c’était la journée tellement la lune brillait. Il y avait une dizaine d’hommes armés, nous huit et ils ont regardé le garçon et ils ont compris que c’était un Tutsi tout de suite – et voulaient l’exterminer. Mon ami, son enseignant, a voulu le protéger en disant que c’était son enfant -  mais comme on n’avait pas de papiers pour lui et ils se reconnaissent, tu sais, ils ont compris que c’était faux et se sont énervés. Ils nous criaient dessus, nous menaçaient de mort en disant qu’il y avait un autre soldat dans la colline avec son arme pointée vers nous si on essayait de résister. Mon ami l’enseignant les suppliait, on priait, on était désespérés. Pour se venger du mensonge de mon ami, l’un des hommes a eu l’idée que ce serait lui et non eux qui allait tuer l’enfant. Il lui donne la machette et il compte  à rebours à partir de 10. A 0 si rien ne se passe ils tirent. 9 : Je prends la main de la femme de mon ami et je la serre très fort. 8, 7, 6 : On était bloqués – on voulait crier mais on n’avait peur, on priait. On les regardait avec des regards suppliants. 5 : Je pensais à l’injustice – je ne pouvais pas laisser mourir l’enfant, pas après ces 2 semaines de fuite, pas après avoir survécu à tellement d’autres barrières. On était juste à la frontière.  4 : mon cœur battait tellement fort, tellement fort qu’il allait sortir. 2 je regardais mon ami et je voyais déjà mon cadavre devant moi, au sol. Silence 1 : on entend le chargement d’une arme au loin suivi d’un coup de machette et du son d’un corps qui tombe. Mon ami avait frappé l’enfant dans la tête et s’est évanoui.
Les Hutus ont rigolé. L’enfant n’était pas encore mort et avec leur machette ils l’ont achevé. Après ils nous ont laissé partir. La femme de mon ami pleurait. Mais mon ami était encore évanoui et on n’arrivait pas à le ranimer. Les autres sont partis mais je ne pouvais pas laisser le couple. Bien qu’ils étaient Zaïrois, ils étaient avaient vécu toute leur vie au Rwanda et ne connaissaient pas le Zaïre. Leurs familles étaient parties quand Lumumba a été assassiné. Ils ne connaissaient pas le chemin. Je suis partie au milieu de la nuit, il devrait être 3 heures du matin, chercher de l’eau pour le ranimer. Avec toute cette forêt, je me dis que les serpents ne mordent pas en temps de guerre. Ils aussi ont peur.
Il est revenu près du couple, l’homme toujours évanoui et réussit à le ranimer. Il ne se rappelait de rien – il ne comprenait même pas pourquoi il était mouillé, il demandait où étaient les autres et l’enfant. Il lui a caché la vérité, il lui dit que les autres étaient devant avec l’enfant et qu’on se retrouverait tous à la Ruzizi, la dernière barrière, cella de la frontière.
Une fois arrivés, exténués, l’enseignant a bien compris que son élève n’était pas là. On lui dit la vérité. Il a essayé de se jeter du haut du pont qui sépare le Rwanda du Congo.
On était arrivés à destination nous aussi, mais on ne bouge pas. Ce n’est pas la première fois que j’entends les histoires, le vécu direct et personnel des « Zaïrois » - comme ils étaient appelés à l’époque - sur le génocide du Rwanda. Et je me demande comment ces gens là, lesquels je prenais pour des gens joyeux, de cœur léger peuvent être les mêmes de ces histoires atroces. Des personnes avec une force intérieure démesurée – et des mécanismes de défense que je ne saisis point.

Son visage rond, sa voix douce et chaude, ses yeux accueillants fixés en moi et le rire qui rythmait ses phrases. Pas un rire nerveux, non. Un rire grave, profond, qui vient du fond de son corps.

Um comentário:

  1. Realmente adorava perceber tudo mas o meu francês não chega para tanto...

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